La vraie fausse « Autre fin » de Life is Strange.

À mon sens, Life is Strange est le jeu de l’année 2015. Et ce n’est pas une mince affaire, notamment quand le principal opposant s’appelle The Witcher 3. Et pour cause, LiS a laissé peu de joueurs indifférents, moi y compris, et a reçu un succès critique innatendu, bien que mérité, malgré ses incohérences et libertés scénaristiques. Toutefois, nombreuses sont les « reviews » qui se sont arrêtés sur ces problèmes. Nombreuses aussi sont les reviews qui ont considéré qu’une fin était naturellement meilleure qu’une autre, ce que je ne peux m’empêcher de contester. La chaîne Youtube « Innuendo Studios » a toutefois sorti une vidéo critique que je trouve particulièrement recherchée et plutôt juste, et c’est avec plaisir que je vous la dévoile ici.

  Nous avons toutefois un élément de désaccord sur sa vision de la fin du jeu. La vidéo étant en anglais, nous allons ici résumer succinctement les propos d’Innnuendo Studios qui nous intéresseront, auxquels nous ajouterons quelques notes personnelles, et nous irons jusqu’à sa conclusion, où il développe son idée de la fin du jeu. Après cela, nous développerons nous-même pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec sa vision de la chose. Pour finir, nous nous demanderons ce que peut bien valoir une suite d’un tel jeu, tout comme la préquelle annoncée à l’E3.

  Évidemment, cet article se dirige surtout envers ceux qui ont fini le jeu. Gare aux spoilers.

  Pour recommencer, Life is Strange, developpé par les parisiens de Dontnod, est un jeu d’aventure à la façon d’un TellTales Studios, un studio spécialisé dans les jeux d’aventures narratifs comme le fameux The Walking Dead, Saison 1 ou encore The Wolf Among Us. Life is Strange reprend la plupart de ces mécaniques et y ajoute une autre dimension : la possibilité de retourner dans le temps jusqu’à une minute ou deux. Concernant l’histoire, le jeu raconte dans un premier temps la réunion de Maxine et Chloe, deux amies d’enfances qui ont dû se séparer suite au déménagement de la première dans la ville de Seattle. Max revient pour suivre des études de photographie à la Blackwell Academy, justement située dans sa ville d’enfance, Arcadia Bay. En sauvant Chloe d’une attaque à main armée dans les toilettes de son bahut, elle découvre qu’elle a le pouvoir de remonter dans le temps.

  Cette possibilité de remonter le temps supprime une des caractéristiques des jeux TellTales. Lorsque le joueur est forcé de prendre une décision, s’affiche un timer, un temps limité au sein duquel le joueur doit la prendre. Dans Life is Strange, quand une décision à prendre apparaît, le temps s’arrête, laissant au joueur le soin de délibérer aussi longtemps qu’il le souhaite. Là où les jeux Telltales encouragent le joueur à choisir la décision qui lui semble la plus naturelle, LiS l’encourage au contraire à retourner dans le temps et choisir la décision qui lui conviendra le mieux avant d’avancer dans le jeu.

  Citons Innuendo : « J’aime les imaginer [Dontnod] arriver à cette idée et ensuite se demander :  Ok, disons qu’une personne puisse vraiment faire ça, voir chaque futur possible suite à leurs actions et choisir celle qui lui semble la meilleure, quel serait la fin logique de cette histoire ? ». Sur le plan suivant, la tempête et la tornade qui détruiront Arcadia Bay à la fin du jeu. Ce qui le mène à une des conclusions que je partage avec lui : l’intrigue de Life is Strange est putain de zarbi.

Toutefois, Innuendo développe un peu plus : LiS est composée de deux trames narratives très différentes, packagées en une seule histoire. Elles coexistent, mettent en scène les mêmes personnages et se passent en même temps, mais elles sont séparées en deux genres très distincts et qui vont assez difficilement ensemble – bien qu’on peut contester que vouloir les lier ne fut pas une décision des développeurs. La première est l’histoire des retrouvailles entre Max et Chloe, ce que les anglophones appellent une « Coming of age story« , c’est à dire une histoire de passage à l’âge adulte, très en vogue dans le cinéma dit des « Teen Movies » ; la seconde étant un psycho-drame « lynchien, dont le but avoué est déconstruire, rejeter, et enfin dévorer cette première trame. Et à la fin, le jeu demande au joueur laquelle de ces deux trames souhaite-t-il voir finir » (sic).

  Cette première trame s’inscrit dans un genre du cinéma allemand, nommé le « Bildungroman », qui signifie littéralement « Roman d’éducation ». Ces histoires ne mettent généralement pas en scène un protagoniste face à un antagoniste, mais, au contraire, un protagoniste qui s’oppose (frontalement ou en partie) à la société à laquelle il fait partie, aux attentes de la-dite société pour lui, opposés aux attentes du personnage pour lui-même. Généralement, ces histoires, comme le début de Life is Strange, se construisent autour de mini-épisodes, des vignettes, dans lesquelles le protagoniste choisit quel genre d’adulte il souhaite être. On pourrait penser que retourner dans le temps aiderait à choisir, mais ce n’est pas vraiment le cas.

Le message se développe au fur et à mesure : quelques soit les choix que Max fera, elle ne pourra jamais tout avoir. Elle pourra tenter de tout recommencer, de changer ses choix ad vitam eternam, mais elle ne fera qu’accentuer les problèmes – le problème final étant, bien entendu, la tornade. Elle devra apprendre que devenir adulte, c’est aussi apprendre à sacrifier et à faire des compromis. Innuendo appuie ici sur la fait que tous les choix ne sont pas forcément des crève-cœur, et que certains d’entre eux sont évidemment des « bons » choix. Il prend comme exemple l’épisode avec le chien de Frank, que vous pouvez faire mourir en balançant son nonosse sur la route – bien qu’il revienne dessus en disant que le seul moyen pour faire en sorte que la transaction avec Franck en fin de jeu puisse se passer sans soucis soit que le chien meure, ce qui est parti faux, puisqu’on peut s’en sortir en ayant choisi de voler de l’argent à un moment – Ce qui signifie donc qu’un « mauvais » choix peut mener à de bonnes conséquences, donc l’agrument tient toujours. Innuendo prend ensuite l’exemple d’Alyssa, qui se retrouve toujours dans des situations merdiques. Toutefois, la particularité des aventures d’Alyssa, c’est que l’aider n’est jamais un choix proposé au joueur qui aura un impact sur l’histoire, mais toujours une possibilité. Le jeu ne demande jamais au joueur de l’aider, mais celui-ci peut toujours remonter dans le temps et l’avertir des saloperies qui risquent de lui tomber de façon imminente sur le coin de la figure. C’est donc un genre de choix qui ne rentre pas dans les critères des choix proposés que nous avons vu plus tôt.

  Une autre puissance du jeu est sa « sincérité » (sic). Le jeu choisit de parler de sujets sérieux, sans détour, comme le suicide ou l’euthanasie. Si Innuendo pense que tout n’est pas fait au mieux, il reconnaît toutefois que cette sincérité permet de toucher le public. Si le public l’accepte, il pourra accepter le jeu pour ce qu’il est.

  Jusqu’à la seconde partie.

  Car, parties à la recherche de Rachel, l’ami de Chloe qui a comblé le trou laissé par Max, elle découvre que non, ses problèmes ne viennent pas d’un dealer, mais qu’elle a pris un coup de sédatif, a été photographiée par un grand malade alors qu’elle était encore droguée, puis assassinée, avant de finir enterrée dans une décharge – puis déterrée par Max et Chloe. Puis, Max se prend un autre sédatif par derrière et regarde Chloe se prendre une balle dans la tête par un mystérieux personnage qui se révèle être… son propre prof de photo. Max se réveille dans le labo photo glauque qu’elles a exploré précédemment avec Chloe, sur le point de subir le même sort que Rachel. Life is Strange, en milieu de chemin, décide de se faire une vraie intrigue, dont Twin Peaks est sans aucun doute une des plus fortes inspirations, mais qui ressemble un peu plus à Donnie Darko…

Ce changement d’histoire est brutal, mais ne sort pas non plus de nul part. Il est préparé à l’avance, mais reste dans le background de la première histoire. Avec l’avènement de la deuxième, c’est le bildungroman qui passe au second plan, bien qu’il ne disparaisse pas. Cette seconde trame est d’un tout autre genre : l’opposant n’est plus la société en elle-même, mais prend un visage, qui est celui de la personne que Max considérait comme étant son propre modèle. Le but pour Max n’est plus de trouver son identité, mais de régler les problèmes auxquels elle a elle-même contribué. Cette nouvelle intrigue se construit toutefois sur l’idée qu’aucun choix n’est parfait et qu’on ne peut pas tout avoir. Max passe le plus clair de son temps, durant l’épisode 5, à chercher une suite d’événements qui lui permettrait d’avoir tout ce qu’elle souhaite, sans jamais l’obtenir, mais essayer de tout régler ne fait qu’empirer les choses. Il y a aussi une dévalorisation complète du concept de « choix », notamment durant la séquence où Max tente de sauver un maximum de monde durant la tempête, mais ce sauvetage n’est que temporaire, en vue de la fin évidente qui arrive droit devant, la seule possible, mais aussi la plus redoutée. Le jeu balance des choix dans la gueule du joueur, alors que ces choix n’ont plus aucun intérêt, étant donné que Max change de timeline toutes les 5 minutes. C’est une histoire qui cherche à détruire la conception du pouvoir comme un truc « cool » et le montrer comme étant quelque chose de dangereux, mais qui déconstruit aussi le concept de choix dans les jeux d’aventure comme LiS et les jeux estampillés TellTales – et très ironiquement, alors que toute cette partie joue sur cette déconstruction, la critique la plus récurrente faite à LiS, c’est que tous les choix faits durant le jeu n’ont qu’une importance très relative, et qu’ils ne pouvaient mener qu’à deux fins uniques et distinctes… Alors que c’est exactement le propos du jeu.

  Sur l’avant dernière séquence, alors que le jeu montre au joueur le prix qu’il doit payer (et a payé) pour son amie – qui, ironiquement, s’appelle « Chloe Price »- , il propose une dernière option au joueur : est-ce tu souhaites un « remboursement » (sic)?

Devant l’apocalypse, Chloe décide que le mieux pour elle est peut-être d’accepter sa mort pour sauver Arcadia Bay, et tend à Max le moyen de tout reprendre à zéro, ce qui signifierait laisser Chloe mourir dans les toilettes du bahut. C’est donc au joueur de choisir entre la destruction d’Arcadia Bay et de ses habitants, et la vie de sa meilleure amie.

  Et effectivement, choisir Arcadia Bay contre Chloe est la fin la plus logique. D’abord pour la première histoire, dans laquelle Max doit apprendre le sacrifice, qu’elle ne peut pas tout avoir, qu’elle ne peut satisfaire tout le monde. La responsabilité est plus forte que le plaisir personnel. Et j’ajouterai qu’il s’agit aussi d’une fin qui correspond tout à fait à la deuxième histoire, puisque les fautifs sont arrêtés dés le meurtre de Chloe.

  Pour Innuendo, l’autre fin, choisir Chloe plutôt qu’Arcadia Bay, est presque le fruit d’un esprit malade… Et là est notre désaccord.

  Donc en fait, c’est là que j’aurai du mettre le titre.

La Vraie Fausse Autre Fin de Life is Strange

Voila, c’est mieux comme ça.

Pour Innuendo, chaque fin représente une des deux trames que l’on a pu explorer. Choisir Arcadia Bay, c’est la fin de la première trame, la fin où il faut accepter de sacrifier ce qu’on aime pour le bien commun. La seconde fin, toujours pour Innuendo, serait la conclusion de la seconde trame…

Sauf que… Non?

Déjà parce que la seconde fin n’est même pas une conclusion satisfaisante pour le drame lynchien. Au contraire, comme nous l’avons vu, rien de tout cela ne serait arrivé si Max avait laissé Chloé mourir. Choisir Bae > Bay, ce n’est pas adhérer aux thématiques de la seconde partie.

Innuendo semble bloqué sur le besoin narratif auquel la première fin pâlit. Pour lui, Max DOIT avoir appris que le sacrifice est le meilleur moyen de se sortir de cette situation, qu’elle DOIT apprendre à laisser Chloe partir pour le bien commun. Que, dans la Vraie Vie™, les gens doivent apprendre à vivre avec leurs erreurs…

Pourtant, n’est-ce pas là aussi la seconde fin? Accepter de vivre en assumant ses erreurs?

La conclusion d’Innuendo, qui n’est pas forcément fausse, c’est que la première fin, Bay > Bae, écrase complètement les thématiques développées par la seconde partie du jeu, beaucoup plus critique sur lui-même, et que la seconde fin, Bae > Bay, ne permet pas à Max de se faire une place dans la société, puisque la société se fait dévorer par une tornade monstrueuse.

Il critique enfin le fait que la fin, moins qu’un choix de fin, ressemble plus à une question du style « Qui aimes-tu plus entre Chloe et le reste du monde? », et à mon avis, cette question est, justement, de savoir qui préfères-tu – ou qui Max préfère-t-elle – entre Chloe et le reste du monde.

Pour nous, au contraire, la seconde fin est une fin tout aussi légitime que la première, et qui porte ses propres réponses. Ou plutôt, une et demi. Si la seconde histoire appelle Max – et le joueur – à faire attention au pouvoir qu’il détient, aucune des deux fins ne proposent de vraie conclusion. La finalité de cette histoire est d’arrêter d’user de son pouvoir tout court. Dans Bay > Bae, Max retourne dans le temps pour laisser son amie mourir et ne plus utiliser de son pouvoir… mais en est-on sûr? Dans Bae > Bay, Max décide de ne pas user plus de son pouvoir et d’accepter les conséquences de ses actions. Elle aura toutefois bien compris que essayer de trouver le voie parfaite causera toujours plus de problèmes. Dans les deux cas, il y a donc un bénéfice du doute égal sur la résolution de cette question. Concernant l’antagoniste, il est de toute façon voué à mourir : tué par un personnage ou par la tempête dans une fin, emprisonné dans l’autre. Là aussi, le problème se règle de lui-même. Il est, selon moi, faux de penser que chaque fin suit unilatéralement chacune des deux trames de LiS – ou alors, qu’au minimum, il faille ajouter quelques nuances à cette vision des choses.

C’est donc du coté de l’autre histoire qu’il faut revenir, celle de l’avènement à l’âge adulte, et c’est en fait la réponse à cette histoire-ci qui définira la fin que l’on souhaite pour le jeu. Concernant les réponses que l’on peut avoir quand on demande aux gens pourquoi ils ont choisit ce qu’ils ont choisi, nous écarterons de suite en grande partie les spéculations qui ramènent à des imprécisions ou des non-dits du scénario, comme « Rien ne prouve que ce soit le voyage dans le temps qui a causé la tornade » – tout en prenant en compte le fait que ces spéculations existent. Pour nous, le choix est simple : soit tout Arcadia Bay meurt, soit Chloe meurt ; et c’est bien le voyage dans le temps qui cause la tornade. Il n’y a pas de petits échappatoires ou d’arrangements avec cette réalité – bien qu’elle ne soit pas toujours très claire.

Bay > Bae est, bien sûr, la fin moralement juste, celle qui appelle à la raison, qui met le doigt sur l’idée que sauver plusieurs personnes est toujours mieux que n’en sauver qu’une seule. C’est la fin qui semble la plus évidente, car elle rentre dans tous les critères narratifs, elle est celle qui fait le plus sens, et c’est celle qui propose la scène qui clôt le mieux. Cette séquence est de fait plus longue, semble plus travaillée et mieux mise en scène… Tout indique qu’il s’agit de la « bonne » fin, opposée à « l’Autre fin« . La « mauvaise fin » est bien plus dark, silencieuse et contemplative, en plus d’être une fin qui laisse un goût amer d’incomplétude dans la bouche.

Malgré cela, à l’heure où ces lignes ont été écrites, seul un chouïa plus de la moitié des gens ont choisit Bay > Bae. Comment se peut-il que presque la moitié des joueurs puissent bien choisir la « Mauvaise » fin? Ces gens sont-il fous? N’ont-ils rien compris?… Ou bien voient-ils dans l’Autre fin une Autre réponse à l’aventure qu’ils ont vécu, faisant de l’Autre fin une fin tout à fait légitime?

Reprenons la présentation de ce choix. Même si les deux textes présentés sont « Sauver Arcadia Bay » et « Sauver Chloe », c’est d’abord l’inverse qui frappe. Malgré la présentation positive, le joueur pense au contraire à ce qu’il est sur le point de perdre, et lit réciproquement : « Sacrifier Chloe » et « Sacrifier Arcadia Bay ». Pire encore, le jeu place le joueur devant le fait accompli, et c’est à lui de choisir ce qu’il préfère perdre. Il s’agit donc bien ici de demander au joueur ce qu’il préfère entre Chloe et « le reste du monde » – ce qu’Innuendo semble regretter -, et le joueur, car il n’est pas bête, est bien au courant des implications morales qui en résultent. Il sait que choisir Chloe est moralement le mauvais choix… Et pourtant, la moitié des joueurs le font quand même.

Il n’y a pas une seule bonne raison pour faire ce choix, mais la première est bien celle-ci : le joueur préfère Chloe au « reste du monde ». Il se retrouve dans une situation où son sens moral gueule moins fort que ses affects… Mais ces affects, quels sont-ils?

Parce que la question posée réveille bien des affects. Tristesse, tout d’abord, devant le choix presque impossible – au point où certains témoignages trouvés sur le net ont avoué avoir arrêté le jeu ici, car incapable de le faire. Mais aussi, et c’est cet affect qui nous intéresse, la colère, ou le sentiment de révolte en général. Car forcer cette question sur le joueur est extrêmement violent. Il s’agit d’une réelle agression qui pousse les gens jusqu’aux larmes – que quiconque ayant une connaissance n’ayant pas eu au moins la gorge serrée devant cette scène lève la main. La violence de cette question entraîne un sentiment de rejet de la part du joueur, qui, comme nous l’avons vu, sait au moins inconsciemment qu’il y a un « bon » choix et un « mauvais » choix. Ainsi, le joueur est poussé à regarder le destin en face, ce destin qui souhaite lui prendre sa meilleure amie, pour lui présenter fièrement son majeur, tout en lui intimant d’aller tranquillement se faire voir.

Choisir de sauver Chloe, c’est souvent plus qu’un simple cri d’amour, c’est aussi rejeter les institutions qui tournent autour de ce choix. Le « Destin », représenté par la tornade, la « Morale » intégrée fortement dans le choix, mais aussi l’institution « Narrative » – qui est exactement ce qu’Innuendo Studios défend -, car choisir de sauver Chloe, c’est revendiquer, quelque part, d’avoir refusé de la laisser partir, au sein d’un jeu qui a passé tout son temps à t’expliquer que, peut-être, ce serait quand même pour le mieux. Selon moi, là est le tour de force de Life is Strange : faire profondément aimer un personnage virtuel au sein d’une histoire qui passe son temps à (dé)montrer que ce personnage est un boulet pour le joueur, et qu’il est temps de le laisser partir.

La tornade détruisant Arcadia Bay est à la fois une épreuve terrible, la sensation profonde de honte et de regret – en clair, la sensation d’avoir fait le mauvais choix – mais aussi un sentiment cathartique de revanche contre ceux qui ont placé le joueur dans sa position impossible. Toutefois, dans la scène de fin, cette joie cathartique est de courte durée. Max et Chloe traversent un champ de ruines, et alors ne restent que les regrets, mêlés uniquement au plaisir d’avoir sauvé Chloe.

Une fois vu que choisir l’autre fin fait suite à un comportement légitime – entre autre explicable par une montée des affects suite à une violence émotionnelle – comment peut-on alors analyser cette « Autre Fin »?

Voyons d’abord la scène elle-même. Les deux jeunes filles traversent les ruines d’Arcadia Bay sans dire mot, sous la chanson Obstacles de Syd Matters… Et c’est tout. C’est tout. Mais en même temps, qu’y a-t-il à dire de plus?

La « Bonne » fin obtient de funérailles pour Chloe, car Chloe est bien ce qui a été sacrifié. Les deux fins mettent le joueur face à face avec ce qu’il a choisit de laisser derrière lui, et quand le joueur choisit de de sacrifier Arcadia Bay, le jeu lui en montre les ruines, puis les deux jeunes filles s’en vont rouler au loin, laissant littéralement ces ruines derrière elles. Il n’y a personne pour organiser des funérailles – les funérailles de qui? Encore faut-il choisir! – et il n’y a rien qui permet de clôturer efficacement cette scène.

Même la chanson, dans son propre texte, n’est pas une chanson qui appelle la clôture. Prenons la phrase contenant le titre, qui est la plus révélatrice de cette situation :

Someday, we will foresee obstacles

Through the blizzard

Traduction :

Un jour, nous serons capable de voir les obstacles venir

Á travers le blizzard

En plus d’être un des thèmes de la relation Chloe/Max (on peut entendre cette chanson à la fin de l’épisode 1), cette petite partie d’Obstacles résume bien l’état d’esprit des deux jeunes filles :

Un jour [donc pas maintenant], elles seront capable de voir les obstacles [et de les traverser? Difficile de dire si c’est sous-entendu] à travers le blizzard [métaphore pour toute situation problématique].

Et c’est justement ce « Un jour » qui pose problème. C’est une chanson qui, au lieu de montrer une fin, parle d’un futur à venir. Sacrifier une ville pour sauver la vie de sa meilleure amie est un choix difficile à assumer. Inversement, il est difficile d’assumer avoir été sauvé par sa meilleure amie quand le prix à payer est sa ville natale – et, accessoirement, sa famille. Il s’agit d’une situation où la relation Max/Chloe prend un tout nouveau tournant et… c’est là que le jeu se termine.

En fait, c’est là le problème de « l’Autre Fin » : c’est que ce n’en est pas une. Au contraire, il s’agit du commencement d’un tout nouvel acte narratif.

La construction narrative de Life is Strange se compose de cinq épisodes, et l’ensemble de l’œuvre est ainsi séparable en cinq actes qui suivent à peu près le découpage de ces épisodes. La « bonne fin » est une vraie clôture car, Chloe enterrée, Max retourne à sa vie précédent sa re-rencontre avec son amie aux cheveux d’azur pour finir ses études, n’ayant pour elle que la seule satisfaction d’avoir pu la côtoyer une dernière semaine. D’un point de vue narratif, avec cette fin, Max fait, comme aiment à dire les anglais, « Full circle », « Le tour du cercle », c’est à dire une forme de narration classiquement parfaite observée et encouragée par des théoriciens de la fiction comme Christopher Vogler ou Joseph Campbell. La « bonne«  fin clôt l’histoire et lui donne un sens.

Si on choisit de sauver Chloe, le générique de fin tombe et coupe une histoire qui n’a pas de clôture. La fin Bae > Bay n’est pas une fin, c’est, au contraire, une histoire que le joueur ne connaîtra jamais, et c’est cela qui est profondément frustrant. Surtout que ce n’est pas « juste » une fausse fin, mais bien un tout nouveau tournant, presque une nouvelle histoire.

LiS Actes.png

Schéma narratif des actes de LiS – on pourra admirer le paint skill

En résumé, la critique d’Innuendo sur la fin favorisant Chloe à Arcadia Bay est injuste. Elle est d’abord injuste car cette fin est légitime, au vu du nombre de joueurs qui la choisissent et qui la défendent. Il fallait aller plus loin et se demander pourquoi peut-on sciemment choisir une telle fin, et les arguments sont exactement ceux qu’Innuendo à repoussé : il s’agit bien de préférer Chloe au reste du monde présenté dans LiS, et non pas de suivre un schéma narratif prévisible. Il s’agit de volontairement aller contre une forme de morale et de construction narrative dont le joueur est pleinement conscient, et le dilemme que pose l’ultime choix repose justement sur cela : le conflit entre ce que l’on souhaite pour soi-même et ce que le société attend de nous. Une fois mis en lumière que cette fin est légitime, il fallait se demander ce qu’elle signifiait et pourquoi elle restait toutefois décevante. Nous avons analysé cela en un argument simple : cette fin n’est pas une scène de fin, mais une scène qui ouvre un autre acte de la relation Max/Chloe, et elle est frustrante justement parce que c’est là que le jeu se finit, alors que le joueur ressent quelque chose de contradictoire, l’impression que cette histoire, au contraire, est loin d’être terminée.

Suite et préquelle

Cet article est rédigé quelques temps avant la sortie de Life is Stange – Before the Storm, une préquelle dont le but sera de raconter l’histoire de Chloe avant le retour de Max, alors qu’elle commence tout juste à côtoyer Rachel. Cette préquelle sera laissé au studio Deck Nine Games, qui m’est personnellement inconnu, mais qui semble s’être spécialisé dans les jeux de bagnoles et d’action. Devant cette nouvelle inattendue, je ne peux m’empêcher de lever un sourcil craintif face à ce choix. Puis on se souvient que le seul titre de Dontnod, le studio original, avant la parution de LiS, était Remember Me, jeu d’action-plateforme de son état.

Donc je « Meh » en haussant les épaules, admettant le bénéfice du doute.

Dontnod, de son coté, à annoncé travailler sur le deuxième opus de LiS, et le grand public n’est encore au courant de rien à son sujet. C’est à croire que le succès inespéré de la première saison de Life is Strange a poussé Dontnod et Square Enix à en faire une saga commerciale – lancer deux jeux d’une même saga, réalisés par deux studios différents, c’est avoir énormément confiance en son produit. Or, s’il y a bien un jeu qui ne marcherai pas au sein d’un tel genre de saga, c’est bien Life is Strange. Assassin’s Creed ne requiert que ses mécaniques à dupliquer ad nauseam, là où le succès et la force de Life is Strange a lieu sur un tout autre plan : sa sincérité surplombée d’un coup de chance.

Car LiS est loin d’être sans défaut. Au contraire, nombreux sont ceux qui les remarque, et ces défauts prennent de très nombreuses formes, allant de l’intrigue bizarre aux incohérences les plus faciles à éviter, en passant par des dialogues qui ne marchent pas pour tout le monde. Pourtant, on aime LiS, bien que l’on aime généralement plus « malgré » que « pour ». La réussite de LiS vient entre autres du fait qu’il s’agit d’un des premiers jeux à prendre des sujets durs et à en parler sans détour, comme l’euthanasie ou le suicide. On ressent que c’est un jeu qui a été construit avec amour, et c’est là que l’on peut parler de sincérité. Or, comme nous l’avons dit, la sincérité d’un jeu n’est pas un cahier des charges. Ce n »est pas quelque chose que l’on peut reproduire en ayant simplement envie de les reproduire. C’est, au contraire, une conséquence des choix de construction du jeu, et non un point de départ.

Quand je parle de coup de chance, c’est parce que j’ignore si tout dans le résultat final était voulu à 100%, erreurs incluses. Je suppose que non, mais malgré tout, le succès est là. LiS parvient à toucher à travers ses erreurs et bizarreries, et il est difficile de dire que cette réussite n’est pas un coup de chance. Ce coup de chance ne serait pas le joueur prenant plaisir à jouer, il existerait dans le bon dosage des éléments du jeu – je ne saurai dire lesquels – qui font aimer « malgré ». Mais qui font aimer vraiment.

C’est pour cela que la fin, malgré tout les défauts auxquels on peut penser en pensant à LiS, est extrêmement difficile à vivre. Sans vraiment y faire attention, nous nous sommes prêtés au jeu et l’avons apprécié pour ce qu’il était : simple, bizarre, un peu faible parfois, mais au fond, tout comme le personnage de Max lui-même, qui ne souhaite que s’accomplir dans sa vie, en tant qu’étudiante, en tant qu’artiste et en tant qu’amie. C’est pour cela que la fin frappe fort, et en plus de frapper fort, elle sait frapper là où ça fait mal. La douleur pique au début, puis reste, latente, pendant une bonne semaine, avant de devenir un souvenir puissant dans l’esprit des jeux.

Le souvenir que, parfois, la vie est étrange.

6 commentaires sur “La vraie fausse « Autre fin » de Life is Strange.

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  1. Salut à tous!!! Je tiens tout d’abord à dire que cette article est absolument super,car ayant finis LiS récemment,et,actuellement en train de faire son prequel,j’ai vraiment apprécié la réflexion poussée sur les choix des joueurs et le décorticage des fins,encore une fois passionnant a lire (PAS D EMOJI MAX!!! 😝😊 )

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  2. Sur Internet, ils disent qu’on peut choisir de sauver Arcadia Bay en plus de Chloé et j’aimerais savoir comment faire pour ça s’il-vous plaît.

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  3. Mwai… sauf que y a pas mal de choses qui s’écroulent dans ces theorie quand on sais que Max a utilisé la photo du papillon sur le sceau de la DEUXIEME chronologie, avec la connaissance de son pouvoir et son objectif de sauver une fille. De + a un moment elle essayera de sauver Kate. si elle a reussi a sauver Kate (ce qui est des + probable) apres etre revenu de la « bonne fin » la tornade est juste retardé apres l’enterrement d’un jour ou 2 ou 3 je sais plus.

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  4. oups je m’avance un peu avec Kate mais a cause de cette 2eme photo du papillon quand tu choisi Chloé c’est juste la SEULE fin cohérente lol, a ce demander si la fin « politiquement correct » a pas juste ete faite pour satisfaire la police de la moral…. je pense qu’a l’origine, l’idée de base etait que max aille dans son enfer temporelle si elle faisait ce dernier voyage dans le temps, le voyage de trop. Comme pour dire qu’apres avoir deconné avec le temps, elle doit en assumer les conséquences.Mais ca aurait visé un moin large public

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  5. Avec des tordus comme le soit-disant prof, les Prescott et Victoria entre autres, comment vous voulez faire un autre choix que Laisser Chloe seine et sauve ? D’autant que si on le fait, même si ce n’est pas dis à la fin, c’est certain, le faux prof continue de perpétrer ses crimes, les Prescott finissent par lui coller un procès, le proviseur à la laisser seule contre tous. et Victoria à être une chineuse de première catégorie.

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