Pourquoi je suis nul à Endless Space

Parler de ce qu’on ne connaît pas

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Pourquoi je suis nul à Endless Space

Dernièrement, il y a eu une grosse solde sur Steam pour le jeu Endless Space, développé par les français d’Amplitude Studio (cocorico!). N’y ayant jamais touché, et ne connaissant pas grand chose des jeux de stratégie 4X, je saute sur l’occasion. Au bout d’une bonne vingtaine d’heures sur ce jeu, je suis pris d’une révélation :

Je pue la mort à Endless Space.

Ce qui me pousse à me poser la question : Comment critiquer un jeu auquel je suis nul?

   Pour un jeu de stratégie au tour par tour, je pense qu’il y a une corrélation directe entre le « skill » – le fait d’être bon au jeu ou non – et la compréhension du jeu. Ce que j’appellerai « compréhension », c’est cette capacité à déchiffrer le jeu, ses mécanismes, les meilleures stratégies du moment (ce qu’on appelle aussi la « meta »), les comportements à adopter… Enfin bref, tout ce que tourne autour de la pure maîtrise intellectuelle du jeu auquel on joue.

   Cette corrélation me semble bien moins vraie dans d’autres genres, comme les jeux d’action, ou les RTS (jeux de stratégie en temps réel). Je pense notamment à Zaboutine, commentateur de League of Legends en résidence chez O’Gaming, qui, bien qu’étant un très piètre joueur, arrive à formuler des analyses qui dépassent les limites imaginables pour quelqu’un de son niveau – ceci étant dit, chacun est libre de penser ce qu’il veut sur la valeur de ces analyses. Certains jeux, comme les jeux d’action Platinum Games, propose des myriades de niveau de difficultés qui permettent, pour les plus simples, de battre le jeu sans vraiment chercher à comprendre comment celui-ci marche. Les plus difficiles, en revanche, forcent le joueur un peu trop bourrin à faire un pas en arrière et réfléchir aux coups qu’il devra lancer.

   Quoique, j’ai beau être nullissime à Dark Souls, je ne me sens pas limité pour en parler : je comprends – pour la plupart – le jeu. Je peux analyser son design et pourquoi certaines décisions ont été prises plutôt que d’autres. Le problème du critique est là : ce n’est pas grave qu’il soit mauvais au jeu qu’il commente. Le tout c’est qu’il puisse le comprendre pour que son commentaire puisse être intéressant.

   Pour un jeu de stratégie au tour par tour, qui laisse tout le temps au joueur de faire ses mouvements et de planifier les prochains, il n’y aucun « skill » à avoir. Au contraire, le skill est quasiment égal à la compréhension du jeu, à la connaissance des stratégies optimales, des « builds orders » , de tout ce savoir encyclopédique ainsi que le design du jeu, et c’est cette compréhension qui différencie le noob du PGM.

Mais je pue à Endless Space, et puisque pour ce genre de jeu il y a corrélation entre skill et compréhension, j’en conclus que je ne comprends pas Endless Space. Devrais-je me taire, ou ais-je quelque chose à dire quand même? En y réfléchissant bien, non. Non, je n’ai rien à dire d’intéressant sur Endless Space. Mais après réflexion, je pense savoir pourquoi je ne comprend pas ce jeu, et peut-être que cela a à voir avec ma propre façon de recevoir les jeux, et comment je les analyse pour mieux les critiquer.

   Aujourd’hui, en caricaturant (salement), on peut distinguer la critique vidéoludique en trois pôles majeurs:

   – La critique journalistique, que j’appellerai « critique commerciale », dont le but est plus de renseigner un joueur potentiel sur la qualité d’un jeu pour qu’il puisse savoir si, oui ou non, cela vaut le coup de l’acheter.

   – La critique herméneutique, ou la critique d’interprétation, qui cherche à comprendre ce que l’œuvre vidéoludique cherche à dire et quelle expérience elle souhaite transmettre. Elle se concentre avant tout sur la narration, sur l’histoire qui est racontée, et voit les mécaniques de jeu comme un moyen de raconter cette histoire via l’interaction.

   – La critique du jeu, qui voit le jeu vidéo comme un jeu avant tout. Il faut donc le critiquer en tant que tel, réfléchir sur l’ensemble de ses mécaniques et comment elles le rendent « engageant » (vilain anglicisme, mais qui marche), passionnant à jouer, ou encore, addictif.

   Il ne faut pas voir ces trois pôles comme étant exclusifs. On n’appartient pas à un mode de pensée, mais on se place toujours, en tant qu’individus, plus ou moins d’un côté plutôt que d’un autre. Personnellement, ma formation et ma façon d’appréhender les choses m’ancrent profondément dans le camp des critiques herméneutiques. Le but de ce blog est d’essayer de proposer une vision des jeux qui s’éloigne de la presse vidéoludique française, qui, elle, est incapable de faire autre chose que de la critique commerciale (c’est ce qui paye, après tout). Il est aussi extrêmement difficile pour moi d’analyser les mécaniques d’un jeu, et comment elles font, à elles seules, la particularité du jeu en question.

   Et c’est pour cela – en partie -, que je ne comprends pas Endless Space. En effet, il ne s’agit absolument pas d’un jeu qui souhaite raconter une histoire ou transmettre une expérience, mais d’un jeu qui s’apparente aux jeux de plateau comme le Risk.

Cependant, si j’arrive à cette conclusion, il me faut mieux distinguer ce que j’appelle « compréhension du jeu » en deux catégories :

   – La compréhension « ludique » (faute de meilleur nom), que nous avons vu précédemment : la capacité d’un joueur à comprendre les règles du jeu auquel il joue et les façons de jouer les plus optimales.

   – La compréhension critique, c’est-à-dire la capacité d’analyse du design du jeu, et qui intéressera celui qui voit les jeux comme des objets de réflexion, comme les critiques ou les game designers.

   Ces deux types de « compréhension » ont sans doute parfois lieu au même endroit. L’un a une influence non-négligeable sur l’autre. Connaître le design, c’est connaître comment le jeu a été pensé, quels comportements il favorise, et donc comment il doit être joué. Inversement, comprendre comment le jeu fonctionne en tant que joueur de haut-niveau donne des capacités d’analyse non-négligeable quand il s’agit d’en parler d’un point de vue de designer ou de critique, mais peut-être plus sur le fond du jeu que sur sa forme.

   Je maintiens que je pue la mort à Endless Space. Mon degré de compréhension ludique est ridicule, et ma compréhension critique reste extrêmement limitée sur ce jeu. Ai-je pour autant le droit légitime d’en dire quelque chose, au risque de ne rien dire d’intéressant ?

La réponse facile est « oui, évidemment, ducon ». Si une personne à une chose à dire sur un jeu, il y a sans doute d’autres personnes sur cette planète qui pensent la même chose. Toute critique est bonne à prendre, car toute critique est justifiée. Ensuite seulement intervient la question de savoir si la critique en question fait avancer le schmilblick. Il se trouve que j’ai une chose à dire, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit si intéressante.

   Ce qui m’intéresse dans un jeu, c’est souvent l’histoire qu’il me raconte et l’expérience qu’il me propose. Rares sont les jeux que j’apprécie qui mettent ces aspects sur le second plan, mais Endless Space fait une utilisation quasi-tertiaire de l’histoire qu’il met en scène. Il n’y aucun mode histoire ou « vrai » mode solo : il n’y a que la possibilité de choisir le même mode de jeu, c’est à dire « une partie d’Endless Space ». Il me manque de la diversité dans la façon de jouer, une diversité dépasse les bonus/malus des différentes races dont le jeu dispose. D’ailleurs, elles partagent toutes le même arbre de technologie, des designs graphiques similaires, et des modèles de vaisseaux quasi-identiques, à très peu d’exceptions près. Je trouve que seule la race « Harmonie » a une façon de se jouer assez différemment des autres, car elle se concentre uniquement sur la moitié des ressources possibles et remplace plusieurs indicateurs, proposant ainsi une expérience alternative.

   Mais cette observation n’est pas bonne, car le but d’Endless Space n’est pas forcément de proposer des expériences différentes. Les races sont un moyen et non un but. Le principe d’une race est de choisir une stratégie pour atteindre la victoire, et non pas de servir de point de départ pour une expérience d’immersion.

   En fait je ne trouve juste pas ce que je veux dans Endless Space. Ce n’est pas un jeu pour moi, mais ce n’est pas un mauvais jeu.

   En fait je suis juste nul.

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